Notre recette pour une industrie automobile préparée à l’avenir
WIM CAREEL - Service d’étude de la FGTB Métal
L'importance d'une industrie forte et neutre sur le plan climatique est au cœur des priorités partout dans le monde. Le monde entier est conscient que marcher en tête de la « transition verte » est essentiel pour garantir sa puissance et sa prospérité. La Chine, les États-Unis et l’UE mènent une politique assertive pour renforcer leur industrie et pour devenir indépendants sur le plan des matières premières, de l’énergie et des technologies. L’accent est principalement mis sur le développement de nouvelles chaînes de valeur stratégiques et innovantes.
L'industrie automobile en est un bel exemple. La transition d’une mobilité basée sur les énergies fossiles vers une mobilité électrique est en marche et les pays cherchent à tirer leur épingle du jeu dans ce domaine. En effet, une industrie automobile respectueuse de l’environnement créera une valeur ajoutée et de l’emploi sur le long terme. Au niveau mondial, la concurrence fait donc rage et les Chinois sont prêts à envahir le marché européen avec des voitures électriques bon marché et de bonne qualité. La création d'une industrie automobile européenne résiliente et durable est donc cruciale. Mais qu’entend-on précisément par là ? Il existe deux piliers centraux.
1. Une politique industrielle forte
Fin de l’année passée, Peter Tom Jones, directeur de l'Institut pour les métaux et minéraux durables de la KU Leuven, a diffusé son documentaire intitulé « Made in Europe: From Mine to Electric Vehicle ». Dès l’introduction, il dresse un bilan de la situation : « Nous sommes submergés par un tsunami de voitures électriques chinoises bon marché et l’Europe reste les bras croisés. Heureusement, nous nous réveillons lentement et nous nous rendons peu à peu compte que nous avons besoin d'une politique industrielle qui mise sur une réindustrialisation de l’Europe durable et neutre sur le plan climatique. » Dans son film, Jones explore la manière dont nous pouvons mettre en place sur le sol européen une chaîne de valeur entièrement intégrée pour les véhicules électriques, y compris une exploitation minière responsable afin de garantir l'approvisionnement en matières premières cruciales telles que le lithium et les métaux terrestres rares. Malgré les nombreux défis qui se posent, le message reste plein d’espoir : la transition vers la neutralité climatique peut (et doit) entraîner une nouvelle vague d’industrialisation européenne.
Une politique industrielle bien pensée est donc nécessaire pour une industrie automobile forte et durable. Dans la pratique, nous constatons que l’UE travaille efficacement à cette fin. En février 2023, la Commission européenne a lancé son plan industriel du pacte vert, une réponse directe à l’Inflation Reduction Act publié quelques mois auparavant aux États-Unis. Dans le cadre de ce plan, le Règlement pour une industrie « zéro net » et la Législation sur les matières premières critiques ont été adoptés. Le premier texte définit une série de technologies stratégiques et respectueuses de l’environnement, dont les batteries, pouvant bénéficier d'un soutien financier et d'une réglementation simplifiée. Cela devrait permettre à l'Europe de produire elle-même au moins 40 % de sa demande pour ces technologies d'ici 2030. Le deuxième texte cherche à garantir l’approvisionnement en matières premières critiques, notamment en stimulant l’exploitation minière européenne. Dès 2030, l’UE devrait extraire 10 % de ces matières premières critiques sur son propre territoire, en traiter 40 % et en recycler au moins 15 %.
Les prochaines années nous diront si l’Europe peut atteindre ces objectifs. Une étude récente de l’École Polytechnique montre que certains points névralgiques subsistent, comme une absence de coordination entre les États membres et une sous-estimation des besoins de financement. Quoi qu’il en soit, nous considérons que cette politique est un pas en avant. Des efforts sont enfin fournis pour localiser davantage de chaînes d’approvisionnement stratégiques en Europe. Ce n’était pas le cas autrefois.
2. Justice sociale
Notre deuxième pilier pour une industrie automobile durable et résiliente est la justice sociale. En effet, la durabilité ne signifie pas uniquement le respect de l’environnement et du climat, mais aussi le respect de l’Homme. La dernière grève du syndicat United Auto Workers (UAW) aux États-Unis était principalement motivée par des questions salariales, mais aussi par les inquiétudes concernant le passage aux voitures électriques. L’accord historique conclu avec Ford, Stellantis et General Motors garantit une production industrielle locale (au lieu d'un off-shoring en Asie) et des salaires décents pour les travailleurs des usines de batteries et d’autres fournisseurs. Des conditions de travail et de rémunération fortes sont donc une priorité, tout comme des emplois locaux basés en Europe.
Dans l’industrie automobile belge, la transition vers les voitures (Volvo Cars, Audi), les bus (VDL Bus, Van Hool) et les camions (Volvo Trucks) électriques est en marche depuis plus longtemps. Ce processus avance laborieusement et provoque régulièrement l'inquiétude des travailleurs. À chaque fois, il est frappant de constater l'importance du dialogue social dans ces entreprises pour canaliser cette agitation et parvenir à des accords sur, par exemple, la sécurité, la formation et les salaires. Cette concertation est également essentielle au niveau sectoriel. Un exemple : via EDUCAM, le centre de formation pour les secteurs des garages et de la carrosserie, entre autres, des investissements importants ont été réalisés ces dernières années dans la formation et la certification pour travailler en toute sécurité sur des voitures hybrides et électriques. Outre de bonnes conditions de travail et de rémunération, le dialogue social entre les syndicats et les employeurs est donc lui aussi essentiel pour mener à bien cette transition.
En résumé, notre recette pour une industrie automobile préparée à l’avenir est très simple sur papier. Les ingrédients ? Une politique industrielle et climatique ambitieuse, des conditions de travail et de rémunération solides et le respect de la concertation sociale. Dans la pratique toutefois, les défis sont nombreux et le temps presse. Nous avons avant tout besoin de personnalités politiques qui regardent vers l'Europe (au lieu de s'en éloigner) et qui œuvrent en faveur d'une Union européenne à la fois forte et équitable. Des syndicats forts sont indispensables dans ce processus.