La Cour de Cassation a récemment prononcé un arrêt qui va rendre un peu moins évidente l'utilisation de la requête unilatérale - l'arme par excellence de certains employeurs afin de briser les actions sociales.
Comment fonctionne une requête unilatérale ?
Grâce à la procédure de requête unilatérale, une partie peut saisir le tribunal à court terme (parfois même dans la journée) sans que la partie adverse en soit informée. La partie adverse n'est donc pas entendue et elle ne peut pas se défendre, d'où le caractère unilatéral de la procédure. Ce n'est que lorsque la décision du tribunal est exécutée que la partie adverse est finalement informée de ce qui se trame.
C'est justement à cause de cette limitation des droits de la défense que les jugements de cette procédure sont exceptionnels et uniquement possibles dans certains cas prévus par la loi, comme lorsque la partie adverse n'est pas connue par exemple.
Une arme pour briser les actions sociales
Certains employeurs abusent de la procédure de requête unilatérale pour briser une grève ou chasser un piquet installé devant les portes de leur entreprise. Si leurs avocats gagnent le tribunal à leur cause, il y a une décision d'astreinte et l'huissier entre en jeu.
Le Comité européen des Droits sociaux et le Conseil de l'Europe l'ont déjà reproché à la Belgique. Cette pratique serait en effet en désaccord avec la Charte sociale européenne.
C'est ce qui s'est passé chez Crown en juin 2012
La société Crown était installée à Deurne et produisait des emballages métalliques. Le 1er février 2012, Crown a annoncé la fermeture et donc le licenciement collectif de 322 travailleurs. Les mois suivant cette annonce, les syndicats et la direction ont négocié un plan social. Les négociations ont été difficiles et l'employeur a voulu clôturer rapidement en dépensant un minimum. Le 12 juin 2012, l'employeur a déclaré que pour lui, les négociations étaient terminées.
Mais fidèles à eux-mêmes, les métallos se devaient de réagir. Ce fut vite chose faite. En front syndical commun, une action de solidarité a été organisée sur le parking du terrain industriel. Cette manifestation allait à l'encontre de la volonté de la direction qui a demandé par requête unilatérale au tribunal d'interdire l'accès au parking. La direction ne souhaitait pas d'un barbecue festif sur ses terrains.
Le tribunal de première instance a envoyé promener l'employeur, le juge estimait qu'il n'était pas nécessaire d'intervenir. Toutefois, l'employeur a eu gain de cause en appel. Le juge en appel a estimé que la situation était suffisamment dangereuse pour intervenir. La Cour d'appel d'Anvers a émis un arrêt par lequel toute personne souhaitant entrer dans l'entreprise risquait une astreinte de 2.000 euros. L'action de solidarité s'est donc poursuivie (avec succès) devant les portes de Crown.
Les syndicats ont ensuite formé une tierce-opposition contre cette décision. La Cour d'Appel (une autre Chambre toutefois) a à nouveau été saisie. Dans son arrêt du 29 juin 2012, la Cour a rejeté la demande de Crown et a stipulé entre autres :
- Qu'il y avait bel et bien des raisons de conflit social et d'un soutien par une action de solidarité;
- Que la demande de Crown n'avait pas tant pour objectif d'assurer la sécurité du terrain industriel mais bien de briser l'action collective des travailleurs;
- Que dans ce conflit, il n'y avait pas lieu d'appliquer la procédure de requête unilatérale en appel;
- Que tous les participants à l'action collective n'étaient pas connus mais que les participants connus (les secrétaires syndicaux qui négociaient un plan social) pouvaient être assignés afin d'engager une procédure contradictoire.
Crown a fait appel à la Cour de Cassation
La Cour de Cassation ne juge pas les faits. Elle se prononce uniquement sur la légitimité des décisions d'un tribunal (jugement ou arrêt). Elle peut annuler une décision et renvoyer vers un autre tribunal qui se prononcera à nouveau sur le fond de l'affaire. Elle permet une sorte d'unité dans la jurisprudence.
Crown a donc fait appel à la Cour de Cassation pour annuler le jugement de la Cour d'Appel (en sa défaveur). Nous ne disposons pas encore de l'arrêt mais la Cour de Cassation a estimé que la Cour d'Appel d'Anvers avait de droit jugé que la requête unilatérale était irrecevable étant donné que les parties étaient connues.
Importance de ce jugement
Fondamentalement, nous disposons déjà d'une objection à l'ingérence d'un tribunal civil dans un conflit social collectif. Mais ce jugement va plus loin et limite nettement l'usage irréfléchi par des employeurs de la requête unilatérale dans le cadre de grèves, d'occupations, de piquets...
Étant donné que les parties adverses sont connues (les secrétaires syndicaux), il est dorénavant nécessaire de lancer une procédure contradictoire lors de tels conflits et une requête unilatérale n'est donc pas indiquée.